Zoom sur… Clément Oubrerie (par Martial R)
Après une quarantaine d’albums jeunesse, Clément Oubrerie rencontre le succès dès sa 1ère bande dessinée : Aya de Yopougon (1er tome en 2005), sur un scénario de Marguerite Abouet.
Aya de Yopougon a été désigné « Meilleur premier Album à Angoulême 2016 ».
Puis en 2014, Le film a été nommé aux César en 2014 dans la catégorie « Meilleur film d’animation »
Il nous a enchanté ensuite, avec la série « Pablo », narrant les débuts du peintre Picasso à Montmartre, sur un scénario de Julie Birmant. Nous y suivons par le détail sa rivalité avec Henri Matisse et sa rencontre avec les poètes Max Jacob et Appolinaire.
En novembre 2015, sort le premier tome de la série « Il était une fois dans l’Est », qui relate la vie d’Isadora Duncan, danseuse au destin tragique.
Rencontré lors de la très belle exposition que lui a consacré la médiathèque Hermeland à Saint-Herblain, Il a accepté de répondre à nos questions…
Bonjour Clément,
Je vous ai rencontré lors du vernissage de l’exposition que vous a consacré la médiathèque Hermeland à Saint-Herblain. Quel souvenir garderez-vous de cette expérience ?
Ce fut un super souvenir, très sympa. Je me souviens, j’étais complètement crevé, après avoir passé 3 nuits sans sommeil. Je me sentais un peu mou, limite burn-out. En plus, je n’avais pas compris qu’il y aurait à faire des dédicaces.
Mais ensuite, la rencontre avec le Maire de Saint-Herblain autour d’un dîner était vraiment sympa. On s’est bien marré.
Le travail autour de l’exposition était très pro avec un très bon travail sur la scénographie.
Comment est venu le projet sur la vie de la danseuse américaine Isadora Duncan ?
L’idée a germé avec la série « Pablo ». En effet, Gertrud et Léo Stein portaient des sandales confectionnés par Raymond Duncan. Julie (Birmant) a creusé et s’est aperçue que c’était le frère d’Isadora Duncan.
Comme nous avons aussi une passion pour la danse et, en particulier pour Pina Bausch, nous avions trouvé notre nouveau beau sujet.
Quelle biographie nous conseilleriez-vous pour en apprendre encore plus sur la vie de cette danseuse au destin incroyable ?
Isadora a commencé à écrire une autobiographie, mais elle est décédée tragiquement avant de la finir. *
* nb : en 1927, son long foulard de soie se prend dans les rayons de la roue de la voiture qui la transporte et l’éjecte brutalement sur la chaussée.
Pour ce récit, vous avez dû mettre en scène de la danse, comment avez-vous appréhendé cette difficulté ?
C’est un exercice classique que l’on travaille dans les académies d’art : les poses en mouvement.
Sur ce sujet, il existe de très beaux dessins de danse de Rodin.
Cela sera raconté dans le tome 2 d’ « il était une fois dans l’Est ».
Pour la série « Pablo », Julie Birmant a choisi de raconter l’histoire du point de vue de Fernande Olivier, son modèle et sa 1ère compagne. Cet angle d’approche vous intéressait ?
Oui, le personnage de Fernande Olivier était souvent traité de façon négligée.
Nous avons choisi de la remettre en valeur, et en prenant cet angle d’approche de raconter la naissance de l’art moderne.
Ce personnage est aussi à l’origine du tableau « Les demoiselles d’Avignon », qui était pour Picasso une sorte d’exorcisme pour se débarrasser de Fernande.
A travers l’histoire de Fernande et Picasso, cela nous permet de découvrir la vie de Montmarte et du Bateau-Lavoir au tout début du siècle, à l’époque de l’exposition universelle. Avez-vous fait des recherches précises sur les lieux ou avez-vous voulu laisser aller votre imagination ?
Nous avons réalisé de nombreuses recherches. Par chance, cette époque est très documentée.
Cependant, il fallait veiller à laisser une place à l’imagination.
Le Bateau-Lavoir, par exemple, est très peu documenté. Il doit y avoir 2 ou 3 photos maximum de disponible.
Mon choix a donc été de dessiner ce lieu « à géométrie variable », en dépit de tout rendu réaliste. Les vues de ce lieu sont donc vraiment fantaisistes. Tantôt vaste, tantôt exigu…
Difficulté supplémentaire, vous n’aviez pas le droit, légalement, de représenter les toiles de Picasso. Une déception pour vous ?
Oui. Seule la reproduction des tableaux était possible, mais il était interdit de les dessiner. Ce qui n’était pas intéressant dans le cadre d’une bande dessinée.
Mais, au final, à partir des derniers tomes, nous avons réussi à avoir leur confiance. Et j’ai obtenu l’autorisation de dessiner ma version des « demoiselles d’Avignon ».
A l’origine de Aya de Yopougon, il y avait Akissi, sa petite sœur (un livre jeunesse devait lui être consacré). Mais il n’était pas prévu de retrouver Aya en héroïne BD. La rencontre avec Joann Sfar a été décisive pour ce projet ?
Oui, Aya n’existait pas. On peut dire que « Akissi » était l’ébauche de Aya.
Au même moment, Joann Sfar, qui animait la collection Bayou, recherchait des projets. Cela s’est fait rapidement et de façon naturelle.
Il a été d’une précieuse aide, car nous débutions dans la bande dessinée. Aya était notre toute première BD.
Aya de Yopougon donne une image joyeuse de l’Afrique dans les années 70. L’histoire d’une jeune fille en Côte d’Ivoire aujourd’hui aurait-elle été très différente ?
Je pense que l’histoire de Aya marcherait encore aujourd’hui. Il n’y aurait pas de différences énormes. Peut-être, qu’elle viendrait d’un autre quartier ou avec un parcours différent…. Bien sûr, nous ne sommes plus dans les 30 glorieuses, mais aujourd’hui, la vie en Côte d’Ivoire ne se passe pas si mal.
C’était au début des années 2000, qu’il y a eu une dégradation énorme des conditions de vie. Maintenant, ça va mieux.
L’intérêt de raconter l’histoire dans les années 70 était bien sûr de raconter la jeunesse de Marguerite. (Abouet : scénariste de Aya de Yopougon)
Oscar Wilde disait : « La sagesse, c’est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu’on les poursuit». Tous les personnages de vos BD pourraient avoir cette devise.
Peut-on dire que ce sont les grandes destinées qui vous inspirent le plus ?
En fait, non. Aya, par exemple, n’a pas une grande destinée.
Même si cette citation est très belle, ce sont surtout les caractères des personnages qui m’inspirent : en particulier, les personnages féminins, forts, que j’essaye de traiter d’une façon non conventionnelle. Je recherche une symbiose avec les personnages. C’est peut-être moins le cas avec « Jeangot »….
Quels sont vos projets pour les prochaines années ?
Le tome 2 de « Il était une fois dans l’Est » (suite et fin).
La fin de l’histoire des « Royaumes du Nord ».
Eventuellement, la suite et fin de Jeangot, si mon scénariste se réveille…
Et une nouvelle série récurrente (encore secret défense), où l’on retrouvera les mêmes personnages à chaque tome. Il y aura bien sûr une ligne directrice entre les albums, mais chacun aura sa propre histoire.
Pour finir, ce qui me prend beaucoup de temps en ce moment : la préparation d’une exposition à la galerie Daniel Maghen. Je travaille sur des peintures grands formats, sur le thème de plusieurs de mes livres. Mon objectif : en réaliser deux par mois.
Pour ce projet, je m’essaye à des changements de techniques, et de formats.
Lisez-vous toujours des livres de bandes dessinées ?
Oui. Je n’ai lu aucune BD pendant 20 ans environ (des années 90 jusqu’à Aya) et puis j’ai replongé.
Aujourd’hui, j’achète beaucoup de BD, quelquefois uniquement pour admirer les dessins.
Mes coups de coeur :
Blutch, Nicolas De Crécy, Christophe Blain, Pascal Rabaté, David Prudhomme, Hugo Pratt, et Taiyo Matsumoto (le dessinateur, entre autres de Sunny, Gogo Monster et Amer béton)